L'idée qui m'a poussé à écrire cet ouvrage

LE BERCEAU DE

SPERMATOZOIDES

ET D'OVULES

Une vie programmée

Depuis mon enfance, j'avais l'habitude de contempler le ciel à l'œil nu, le dos à terre, parfois debout, et de regarder défiler les nuages. Parfois, dans les formes des nuages, il m'arrivait d'apercevoir une femme en train d'allaiter un enfant; d'autres jours, c'était un couple faisant l'amour ; parfois aussi, c'étaient des animaux, des oiseaux, des poissons ou des objets matériels de toutes sortes, selon les jours. Cela se passait dans le village de Mpenzwa, dans la résidence familiale. Les jours, les mois, les années étaient relativement les mêmes : parfois ensoleillés, doux, parfois pluvieux. Il n'y avait que les périodes qui changeaient. Ce sont aussi les mêmes périodes que j'ai retrouvées à mon âge adulte. J'avais fini par établir un calendrier météorologique. Cela m'avait permis de savoir quel temps il ferait le jour suivant. L'existence du paradis parental était encore à moi. Un jour survint le divorce de mes parents ; ce fut le plus mauvais jour de la vie de notre famille.

A l'époque, je ne savais ni lire, ni écrire ; j'étais impuissant à sortir ce que j'avais dans le cœur et dans ma tête. En effet, je venais d'avoir mes quatre ans. Je me souviens que, chaque fois, la tristesse me volait ma joie de vivre. Je gribouillais à terre avec mon index quelques phrases des chapitres de mon futur ouvrage. Ce sont celles que vous êtes en train de lire en ce moment ou que, peut-être, vous lirez un jour : Le Berceau de spermatozoïdes et d'ovules. Sous forme de peinture abstraite, il n'y a rien que moi qui puisse comprendre de quoi il s'agissait.

Du village de Mpenzwa à Mbunga. Cinq heures du matin. Le pur moment d'une femme. Nze Bomamo, ma mère.

Depuis que nous avons quitté le domicile familial de Mpenzwa, ma mère avait pris la décision, je ne sais depuis combien de temps, de me placer chez mon oncle André Inyogo. Elle n'avait plus les moyens financiers de nous nourrir tous. Tout attristés, aucun son ne parvenait à sortir de nos bouches pendant que nous marchions, sur près de 100 kilomètres, à pied. Au beau milieu du chemin,dans la forêt, nous nous sommes arrêtés pour manger notre premier repas après avoir parcouru la moitié du voyage. Nous n'avions pas peur des lions ni des léopards qui, sait-on jamais, auraient peut-être pu nous tuer.

Le premier sourire d'une femme, Nze Bomamo, ma mère.

Au moment de reprendre la route, une dispute avait éclaté entre Jean Mari Boyele, le benjamin de la famille, et moi, l'avant-dernier, chacun voulant qu'elle le porte dans ses bras, rien que pour la dévisager. D'un coup, elle éclata de rire. C'était la première fois que nous la voyions sourire en même temps que nous. C'étaient les premiers sons qui sortaient de nos bouches car, depuis que nous avions pris le chemin, à cinq heures du matin, nous avions marché durant des heures sans que personne ne prononce un mot. A cet instant précis, une force survint en nous, celle qui nous permit de finir les derniers kilomètres qui restaient. De temps en temps, elle nous faisait marcher puis nous reprenait dans ses bras. C'est de la sorte que mon frère Jean Mari Boyele a appris à faire ses premiers pas.

1987. Troisième guerre mondiale. Ma part du gâteau du général français Charles Pagai et moi : c'est moi qui avais gagné la guerre !!!

Comme si un pacte avait été signé entre Kinshasa, Paris et le Diable. Comment est-il possible qu'il y ait une ressemblance morphologique entre l'un des frères de mon père, Ilonga, et l'ancien grand prêtre et ministre de l'intérieur des années 1986 à 1995, Charles Pagai, que je respecte ? Aucune information ne m'avait appris qu'il y avait un prêtre régnant en France. Le paradis terrestre que je me suis moi-même imaginé, à cause de l'image de la télévision, je croyais qu'il avait la couleur du soleil de France alors que sa couleur est comme celle qui brille partout dans le monde entier. Jamais ! Jamais, je ne vous laisserai manger le gâteau du général français ! Un jour, je téléphone à Ilonga, le frère de mon père,pour l'informer de l'avancée de notre troupe, considérée par eux comme des clandestins. Il m'a répondu :

- "La loi, c'est la loi. Personne n'a le droit de lui en vouloir !"

- "Attendez ! Qu'est-ce que vous me parlez de la loi ?"

- "Le gâteau, c'est la paix ! La vie est partout !"

J'avais compris que c'étaient des gens de la même génération, qu'ils s'admiraient énormément. Rentrer dans mon pays serait comme un abandon de la guerre. Je finis par établir un véritable plan de survie, baptisé l'opération : "les dix commandements ; ça casse ou ça passe"; ses règles étaient :

1) toujours rester en état de vigilance, jour et nuit.

2) dans mes trois squats, un jour ici, un jour par là, dormir un œil fermé, un autre ouvert.

3) dormir deux fois la semaine dans le grenier délabré du troisième squat, tout aussi délabré, car on ne sait jamais.

4) faire mon footing tard la nuit, dans un stade où il n'y a pas de lumières (une préparation physique en cas de poursuite par la police.

5) travailler au noir, sans relâcher mes efforts.

6) suivre les informations tous les jours, connaître la position et l'avancée des troupes de l'ennemi.

7) posséder une liste de noms de villes à ne pas trop fréquenter, sauf en cas de travail

8) avoir des éclaireurs dans la préfecture (baptisée le trou noir); avant chaque arrivée, voir s'il y a des arrestations directes et des reconduites. Les éclaireurs doivent mutuellement s'informer pour savoir s'il y a des contrôles dans les transports en commun.

9) identifier les portraits des acolytes de l'ennemi, en uniforme ou en tenue civile.

10) en cas de contrôles, soit chercher un moyen de s'échapper en courant avoir du respect pour celui qui fait son travail et laisser la place à sa conscience.

Enervé par les protestations des français, réputés pour leur hospitalité et leur soutien à leurs immigrés en danger, le ton du prêtre commence à changer. Une lueur d'espoir commence à voir le jour. En effet, je me souviens de ces années-là; tout le monde était excité.Les contrôleurs de la SNCF et de la RATP nous pourchassaient de wagon en wagon, parfois même carrément dehors jusqu'à une distance de 100m par rapport à la gare. Tous ces efforts de dépenses d'énergie, rien que pour une amende ? Ne parlons pas de la police, qui ne lâche rien. On avait l'impression d'assister à des arrestations de terroristes ou à des scènes de tournages de films.Je me souviens d'avoir assisté à des reproches d'un policier gradé à de jeunes poulains :

- "Ici, vous êtes au travail et non pour vous venger. Avant tout, vous êtes au service du peuple ! Celui qui travaille n'importe comment voit la porte!"

Un jour, j'ai tenté de corrompre un policier avec billet de 100 francs pour qu'il me laisse partir (une pratique courante dans mon pays, bien qu'il y ait maintenant beaucoup d'amélioration, (d'après ce que j'ai appris). Franchement, ce n'était pas de ma faute car je pensais qu'elle était généralisée partout. Ce dernier était en rage.

- "Cà, c'est la prison directe! " dit-il.

Je ne comprenais pas son énervement. Aujourd'hui, tout a changé : les contrôles commencent d'abord par un "bonjour", avec respect. Les années ont passé, le prêtre et ses acolytes ont achevé leur mandat et j'ai fini par obtenir ma part du gâteau. C'était la fin de la troisième guerre mondiale. OK! Mais cela avait été chaud ! Très chaud !

La similitude des voix et des physiques de Charles Pagai et de papa Ilonga.

Papa Ilonga avait la voix tout-à-fait comme celle du grand prêtre Charles Pagai, le physique aussi. J'aimais la voix à la télévision et le physique sur les journaux, malgré que nous combattions sur les décombres de la division. Quelque part, malgré d'énormes souffrances de tous genres, des prêtres comme lui sont nécessaires dans l'apprentissage de la bataille. Je le haïssait durant toute la journée lorsque je rencontrais des obstacles policiers. Lorsque je rentrais dans mon squat, je zapais de chaîne en chaîne sur la télévision, recherchant son image qui me donnait l'impression d'être à côté de papa Ilonga qui me protégeait, malgré aussi le fait que je le haïssais lui aussi à cause de son fanatisme pour Charles Pagai.

Lorsque je téléphonais à ma famille au pays, je n'aimais plus lui parler car il était considéré comme un traitre. Un jour, j'ai décroché le téléphone, c'était sa voix que j'ai prise pour celle du grand prêtre. J'avais de la sueur partout sur mon corps. Je tremblais, me disant que c'était fini pour moi. J'ai commencé à rassembler quelques effets personnels et un peu de monnaie qui me restait.

Il y a deux jours, des faux policiers avaient investi notre squat du 56 rue Turbigo Arts et Métiers. Ils avaient fouillé ma chambre et celles des autres, nos poches et emporté tout ce qui les intéressait. La délivrance survint lorsqu'une voiture de vrais policiers passa sur l'avenue avec le hurlement de sa sirène, ralentie à cause d'un bouchon de voitures. A ce moment-là, j'ai eu le pressentiment qu'ils étaient de faux policiers. Je sortis ma tête par la fenêtre, qui donnait justement sur l'avenue, puis j'ai crié :

- "Par ici ! Par ici !"

Du coup, ils se sont précipités vers la sortie et se sont évaporés dans la nature. Etant des sans-papiers, on ne pouvait que les comptabiliser parmi les obstacles, sans aller déposer plainte ni même une main courante.

- "Ah ! Maintenant que tu deviens riche, est-ce que tu peux m'envoyer un peu d'argent ?"

- "Quoi ? De l'argent ! De l'argent ! De l'argent ! Tu n'as qu'à en demander à ton frère Pagai !" lui ai-je répondu.

Rien que par ma réponse, il avait bien compris que rien n'allait mieux pour moi. Ensuite, avec une voix affectueuse, il m'a demandé de retourner au pays. Il m'a proposé de me prendre un billet de retour pour moi. J'ai refusé, lui répondant de nouveau qu'il le garde pour lui et pour ses enfants, pour acheter à manger. A l'époque, ma mère était encore en vie. Je le suppliai de ne pas lui raconter mes souffrances car sinon elle risquait d'en perdre la vie. D'ailleurs, à la suite de la mort successive de mes frères, elle n'a pas pu résister à sa tristesse, et elle est décédée à son tour.Voilà ! C'est ce qu'on appelle une vie programmée, de plusieurs couleurs, selon la vie de chacun de nous.

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